- Dates4 July 2014 - 30 August 2014
- Artists
Association 1 : Couleur brune – Droopy – système digestif – main de Mickey – peinture d’Aldo Walker. Association 2 : Plateformes – cylindres – Armleder – tissus bleu. Association 3 : Cartoon pieuvre – briques légos – Crumb – tapisserie baroque.
Yoan Mudry joue avec les couches. Ses toiles... [En premier lieu mais pas seulement, car le travail de Yoan est avant tout un travail d’organisation d’éléments éparses sur différents niveaux, il est donc logique que ses objets, ses textes et ses expositions en tant que tout lisible fonctionnent de la même manière.]
... toutes ses propositions donc, à l’instar de ses toiles, sont comme une portion de la cartographie d’un rhizome, un zoom sur un ensemble de synapses, un cadrage dans un tas de filets emmêlés ; des lignes et des nœuds – parfois chaotiques, parfois sur-organisés. Au long d’une production éclectique, l’artiste nous propose son interprétation des flux dans lesquels nous sommes tous plongés, qui nous envahissent. Les lignes et les nœuds c’est ça.
Pour construire ses propositions Yoan utilise des fragments d’images comme objets culturels. Des fragments se retrouvant à la fois témoins, représentants et acteurs des différents types de discours visuels dont l’artiste ne cesse d’interroger les codes, les fonctionnements, les influences et les limites. Culture populaire, directement identifiable lorsqu’il se réapproprie et détourne des cartoons et des personnages de Disney (Brave men run in my family, Milk-toast). Culture – ou plutôt histoire de l’art – comme dans Dialog mit der Marbriers, F.Sculpture ou Global Paradise. Culture punk aussi, à sa manière, avec My education et Untiteld Yet.
Et dans chacun de ces champs de références, des couches encore. Yoan joue avec les références globales et particulières; histoire occidentale mutuelle et souvenirs partagés uniquement par ceux qui étaient là à cette soirée.
Chaque production de l’artiste, bien que pouvant être regardée de manière autonome prend part à un discours plus large dans lequel toute production devient signe. Un peut à la manière dont Lemaître interrogeait la séance de cinéma, Yoan maltraite les frontières entre les différents composants de l’exposition (les pièces, l’artiste, le vin, le spectateur, la communication, l’espace, l’heure...) C’est le cas lorsque six-cent personnes se désinscrivent de la mailing list des Marbriers 4 pour avoir reçu – à la manière du spamming sans interruption et sans explication, sans signature non plus – plus d’une vingtaine d’e-mails comprenant des textes de jeunes artistes. De même lorsqu’il relègue F.Sculpture au stock de l’exposition qu’il vernit et pense à la solder pour cause de pièce manquante; une branche de l’arbre à chat ayant été utilisée pour la réalisation d’une seconde sculpture.
Ces opérations passent souvent inaperçues. Elles jouent avec la temporalité et l’in-situ, elles ont quelque chose de performatif parfois difficile à définir. Sortes de stratégies d’appropriation du contexte global de l’art contemporain, ces gestes/choix sont pour lui l’occasion d’interroger tant la pérennité d’une œuvre, celle d’une carrière ou du fonctionnement d’un marché.
Les éléments assemblés par l’artiste créent des lignes narratives ouvertes et mouvantes ; des modèles de récits possibles. Par le choix premier des fragments, par leur mise en dialogue, Yoan raconte des histoires. Mais à l’image du Joker et de son sourire, ces histoires sont souvent prétextes, jamais qu’à moitié vraies. Elles ne peuvent être prises au sérieux si ce n’est pour comprendre le système de l’artiste. Point de départ, elles comportent une dimension de mensonge
(C’est d’ailleurs peut-être là qu’on est au plus proche de l’univers de référence de l’artiste.) Mais il s’agit ici d’un mensonge qui, à la fois est vérité ; un non-sens déstabilisateur du sens courant et producteur de nouveaux effets. Une sorte de chat de Schrödinger inversé. Mort-vivant, depuis le fond de sa boite, le chat permet à toutes les réalités d’exister simultanément jusqu’à ce qu’advienne l’observation. A l’inverse, le travail de Yoan est Un jusqu’à ce que l’observation – le regard du spectateur – le rende plusieurs.
C’est que les images de l’artiste jouent constamment un double, voir un triple jeu. Elles représentent de manière littérale leur contenu mais elles sont aussi les signes permettant de reconstruire un discours global. Chaque œuvre vient à la fois construire le discours, en perpétrer le souvenir et le perturber. Chaque pièce est une extension. L’image, l’exposition, l’objet et les éléments qui les composent tendent alors à interroger les dispositifs et micro-dispositifs dans lesquels ils sont inscrits, et invitent le spectateur à interroger de la même manière ceux qui le surplombent.
Toujours sur la ligne, à jouer avec la limite – séduction/répulsion, précision obsessionnelle/réalisation imparfaite, création d’un langage/refus de la communication – Yoan est l’un des représentants d’une nouvelle génération d’artistes polymorphes ; principale qualité des natifs numériques qui collectionnent des subjectivités qui plutôt pouvaient sembler irréconciliables. Pour ces artistes, l’art est politique sans médiation (discours) politique. Fond et formes ne s’envisagent plus au sein d’un système d’opposition binaire dont l’explication donnerait (ou non) la clé. Ils ne sont plus ni opposés, ni identiques. Ils deviennent Trois ou plus. Ils sont forme-fond-sujet-soi-autre, tout en un.
Le travail de Yoan est aussi histoire de construction, de déconstruction, de détourage, de collage, de focus et de transformations. Une histoire de codes, de signes. C’est par l’analyse/la compréhension directe des codes du discours dominant qu’il élabore ses systèmes. Et c’est précisément dans ces replis fonctionnels que se cache le politique. Dans la caricature et la mise en exergue, l’exagération et le surplus, dans le choix précis des sources et de références. Car les images de l’artiste, souvent lisses, toujours appliquées, n’offrent pas un spectacle de plus mais une nouvelle réalité déstructurée et dysfonctionnelle dont les codes accentués ou torturés révèlent leur absurdité intrinsèque. Les nus, comme dans Fountain ou Funny Games ne sont pas attirants comme chez Koons, les aliments – ¬Speedfreak, Füller, Pop Up – sont toujours immangeables et les peluches comme les chaussettes sont crucifiées ou explosées. Alors que la composition est précise, parfois jusqu’à l’obsession paranoïaque, la facture est volontairement imparfaite. A l’image de la réalité qu’il représente, son monde de loin est coloré, lisse et attirant. Ce n’est qu’en s’y attardant, en accordant de l’importance aux détails, que se révèlent les fils mal coupés, les dysfonctionnements sociaux, la fausse peinture au scotch, les libertés feintes, les aplats pas si plats, l’abus et le spectacle.
Association 1: The color brown – Droopy – digestive system – Mickey's hand – painting of Aldo Walker.
Association 2: Platforms – cylinders – Armleder – blue cloth.
Association 3: Cartoon octopus – Legos – Crumb – baroque tapestry.
Yoan Mudry plays with layers. His paintings... [First and foremost, but not only, as Yoan's work is above all a work of organizing scattered elements on different levels. It's therefore logical that his objects, texts and exhibitions function in the same way.]
... all his propositions, then, following the way of his paintings, are like a section of a rhizomatic map, a zoom-in on an ensemble of synapses, a framing of a tangled net; lines and knots – sometimes chaotic, sometimes over-organized. Through his eclectic production, the artist proposes his interpretation of states of flux into which we are thrown, and which overwhelm us. Such is the way of lines and knots.
To construct his propositions Yoan uses fragments of images as cultural objects. These fragments find themselves at once witnesses, representatives and actors of different types of visual discourse, whose codes, functionings, influences and limits the artist never stops questioning: Pop culture, directly identifiable when it's reappropriated and détourné, using cartoons and Disney characters, for example (Brave men run in my family, Milk-toast). Culture – or rather, art history – such as in Dialog mit der Marbriers, F.Sculpture or Global Paradise. Punk culture as well, in its own way, with My education and Untiteld Yet.
And in each of these fields of reference, there are still more layers. Yoan plays with both global references and specific ones – common Western history as well as memories shared only by those who were there that night.
Each one of the artist's productions, though they may be considered individually, are part of a larger discourse in which all productions become signs. A bit like the way in which Lemaître interrogates the cinema, Yoan mistreats the boundaries between different parts of the exhibition (the work, the artist, the wine, the spectator, the communication, the space, the time...) This was the case when six hundred people unsubscribed from the Marbriers 4 mailing list after receiving – spam style, non-stop, with no explanation nor signature – more than twenty e-mails comprised of texts by young artists. Likewise when he relegated F.Sculpture to the stock of an exhibition, polishing it and considering that he should mark it at a discount because of a missing piece; a tree branch being used for the realization of a second sculpture.
These operations often go unnoticed. They play with temporality and the in-situ, and there's something performative about them sometimes, difficult to define. Sorts of appropriation strategies in the global context of contemporary art, these gestures/choices are for Yoan the occasion to interrogate the longevity of a piece, a career or the workings of a market.
The elements assembled by the artist create open and moving narratives, models of possible tales. Through the choice of fragments and their situation in a dialogue, Yoan tells stories – but in the style of the Joker and his smile, these stories are often pretexts, never more than half true. They cannot be taken seriously if one is to understand the artist's methods. Point of departure: they have a dimension of lies (and it's perhaps there that we are closest to the artist's universe of reference). But in this case it's a lie that at the same time is truth; a destabilizing nonsense of common sense and a producer of new effects. A sort of Schrödinger's cat turned upside down. The living dead, from the depths of its box, the cat allows for all realities to exist up to that which observation reveals. Conversely, Yoan's work is One until observation – the gaze of the spectator – makes it many.
The artist's images constantly have a double, or even a triple sense. They represent in a literal way their content, but they are also signs permitting us to reconstruct a global discourse. Each œuvre at once constructs the discourse, perpetrates the memory and disturbs it. Each piece is an extension. The image, the exhibition, the object and its building blocks attempt to interrogate the dispositives and micro-dispositives in which they are inscribed, inviting the spectator to question in the same way what hovers above it all.
Always toeing the line of limits – seduction/repulsion, obsessive precision/imperfect realization, language creation/refusal to communicate – Yoan is one of the representatives of a new generation of polymorphic artists, speakers of numeric languages who collect subjectivities that might have once seemed irreconcilable. For these artists, art is politics without political mediation (discourse). Depths and forms no longer find themselves in a system of binary opposition whose explanation gives (or not) the key. They are no longer opposites, nor identical. They become Three or more. They are form-depth-subject-self-other, everything in one.
Yoan's work is also a story of construction and deconstruction, of carving out, of collage, focus and transformations. A story of codes, of signs. It's through the direct analysis/comprehension of codes of the dominant discourse that he elaborates his systems. And it's precisely in these folds that politics is hidden. In caricature and underlining, exaggeration and surplus, in the precise choice of sources and references. The images of the artist, often smooth, always applied, do not offer another spectacle but rather a new, deconstructed and dysfunctional reality whose codes are accentuated or tortured, revealing their intrinsic absurdity. The nudes, such as Fountain or Funny Games are not attractive such as with Koons; the food – Speedfreak, Füller, Pop Up – are always inedible, and stuffed creatures and socks are crucified or exploded. While the composition is precise, sometimes to the point of paranoid obsession, the workmanship is voluntarily imperfect. In the image of the reality he represents, his far-away world is colorful, smooth and alluring. It's by getting up close that one sees the details: poorly cut strings are revealed, social dysfunction, twisted paint and scotch tape, false freedom, solid colors that are not so solid, the abuse and the spectacle.
Roxane Bovet, 2014